La dépendance numérique aux États-Unis coûte 264 milliards d'euros par an à l'Europe

[Raccoon]

Une étude menée par le cabinet d’études économiques Asterès, commandée par le Cigref, montre à quel point l’Europe dépend des Etats-Unis dans les domaines du cloud et du logiciel. Cette dépendance représente un coût colossal de 264 milliards d’euros par an pour l’économie européenne, finançant près de deux millions d’emplois aux Etats-Unis.

Le chiffre est assez édifiant, bien que pas très surprenant : 80% du total des dépenses liées aux logiciels et services cloud à usage professionnel en Europe sont passées auprès d’entreprises américaines, ce qui représente un volume de 264 milliards d’euros. Ces dépenses correspondent à environ 2 millions d’emplois directs, indirects et induis (l’activité générée par la consommation de leurs salariés) aux Etats-Unis.

Une étude commandée par le Cigref

Ce sont les principales conclusions d’une étude publiée par le cabinet d’études économiques Asterès, commandée par le Cigref, une association qui réunit les grandes entreprises (Airbus, Axa, LVMH…) et les institutions publiques (CEA, Inria, ministère de l’Intérieur…) pour promouvoir l’usage du numérique comme création de valeur et de compétitivité. Elles ont été présentées à l’occasion de la deuxième édition des Rencontres Numérique de Strasbourg, organisée par le Cigref et le syndicat Numeum, le 24 avril 2025.

Dans le cadre de cette étude, le cabinet Asterès dénonce “la faiblesse des données commerciales” sur les flux internationaux. Elle a été compensée par des entretiens avec six Chiefs Information Officers (CIO) de grandes entreprises françaises présentes dans l’ensemble des secteurs de l’économie. Les résultats obtenus ont été extrapolés pour l’Union européenne en considérant que le poids des dépenses de cloud-logiciel est proportionnel au PIB d’un pays : les dépenses de cloud-logiciel françaises représenteraient ainsi 16% de celles de l’Union européenne, une part cohérente avec la part de la France dans les dépenses européennes de services cloud (17%) et de logiciels (14%).

Dans le détail, selon cette étude, les entreprises américaines représentent 83% du marché du cloud-logiciel européen, soit 54 milliards d’euros pour la France et 330 milliards d’euros pour l’Union européenne. “Les professionnels interrogés ont été unanimes pour souligner la force des acteurs américains”, rapporte l’étude. Pour rappel, dans le cloud, le trio de tête est composé d’Amazon Web Services (AWS), Google Cloud Platform (GCP) et Microsoft Azure.

La fracture numérique comparable à la fracture énergétique

L’étude en arrive à la conclusion suivante : “la facture numérique de l’Europe est d’un montant comparable à sa facture énergétique”. En effet, les entreprises européennes dépensent environ 260 milliards d’euros pour des services cloud-logiciels américains, créant ainsi une valeur ajoutée principalement aux États-Unis. Cette dépense est comparable à la facture énergétique de l’UE, qui s’élevait à 360 milliards d’euros en 2024. Bien que la zone euro ait enregistré un excédent de sa balance courante de 419 milliards d’euros et un excédent de 162 milliards d’euros sur le solde des services en 2024, ces importations de services numériques représentent une part significative du PIB de l’UE et pèsent lourdement sur sa balance des paiements.

Face à cette situation d’extrême dépendance, le cabinet a estimé le gain potentiel du développement du secteur du cloud-logiciel dans l’Union européenne. Le modèle utilisé distingue les effets directs et indirects. Il a été construit à partir d’un modèle développé pour l’économie italienne, car le niveau de productivité italien est représentatif de celui de l’ensemble de l’UE. Les importations intra-européennes ont été pondérées à 58% des importations totales, et les niveaux moyens d’épargne et d’impôt ont été calculés à partir de la moyenne des pays européens.

Trois scénarios sur le développement du secteur en Europe

Trois scénarios hypothétiques ont été imaginés pour estimer l’impact économique du développement de ce secteur. Ils supposent que les entreprises européennes captent progressivement une part des dépenses actuellement destinées aux États-Unis : 5% immédiatement, 10% en 2030, et 15% en 2035. Les projections reposent sur l’hypothèse que les gains de productivité annuels dans le secteur du cloud-logiciel seraient supérieurs de 3 points par rapport au reste de l’économie, avec une croissance nominale moyenne de 3% par an et une stagnation du nombre total d’emplois. Les résultats sont exprimés en euros de 2025 pour faciliter la comparaison.

Voici les résultats :

• si 5% des achats de services de cloud-logiciel des entreprises européennes étaient réorientés vers des fournisseurs européens, cela pourrait créer environ 178 000 emplois. Ce changement générerait une empreinte économique (l’ensemble des impacts économiques générés par un secteur : chiffre d’affaires, valeur ajoutée, emplois créés et recettes publiques) de 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 12 milliards d’euros de valeur ajoutée (PIB), et 5 milliards d’euros de recettes publiques, représentant environ 0,1% du PIB et de l’emploi de l’Union européenne.
• si 10 % des achats de services de cloud-logiciel des entreprises européennes étaient réorientés vers des fournisseurs européens d’ici 2030, cela pourrait créer environ 331 000 emplois. Ce changement générerait une empreinte économique de 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 25 milliards d’euros de valeur ajoutée, et 11 milliards d’euros de recettes publiques, représentant environ 0,1% du PIB et 0,2% de l’emploi de l’Union européenne.
• si 15 % des achats de services de cloud-logiciel des entreprises européennes étaient réorientés vers des fournisseurs européens d’ici 2035, cela pourrait créer environ 463 000 emplois. Ce changement générerait une empreinte économique de 75 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 37 milliards d’euros de valeur ajoutée, et 16 milliards d’euros de recettes publiques, représentant environ 0,2% du PIB et de l’emploi de l’Union européenne.

Bien que cette étude soit intéressante, elle souffre d’un manque de données, en particulier les montants exacts de services de cloud-logiciel (les flux de marchandises étant plus faciles à déterminer). Egalement, elle ne s’intéresse qu’aux conséquences économiques et reconnaît elle-même que les échanges de services cloud-logiciel présentent d’importantes conséquences géopolitiques. En effet, comme le note l’étude, les États-Unis, en menaçant l’Europe de réduire la fourniture de services de cloud-logiciel, disposeraient d’un levier puissant pour contraindre les Européens à accepter leurs conditions commerciales.

Les solutions européennes plébiscitées mais non utilisées

Bonne nouvelle : les entreprises européennes semblent conscientes de la problématique. 78% des décideurs reconnaissent l’importance des solutions technologiques locales. Pourtant, ils ne sont que 32% à considérer que la prise en compte de la souveraineté technologique doit être une priorité dans leurs décisions d’investissement.

source : usine-digitale.fr

[Dark]

C’est pas leur argent mais le nôtre donc pas un problème